31/07/2024 investigaction.net  9min #253846

 Panne géante de Microsoft : l'entreprise américaine Crowdstrike pointée du doigt

Microsoft : Écran bleu général

Michael Roberts

(AFP)

La panne technologique massive qui a semé le chaos dans le monde entier soulève d'importantes questions sur la propriété et le contrôle de notre monde numérique. L'entreprise de cybersécurité CrowdStrike, relativement peu connue, a admis que le problème avait été causé par une mise à jour de son logiciel antivirus, conçu pour protéger les appareils Microsoft Windows contre les attaques malveillantes.

La panne a été causée par une mise à jour d'un logiciel de CrowdStrike introduite dans les programmes Microsoft, ce qui les a fait tomber en panne à l'échelle mondiale. Mes amis programmeurs « techniciens » me disent que cela ressemble à deux erreurs de codage très basiques qui auraient dû être repérées et testées avant d'être « imposées » dans les systèmes d'exploitation Microsoft.

CrowdStrike est une entreprise étasunienne basée à Austin, au Texas, cotée en  bourse qui emploie 8 500 personnes et compte 24 000 clients. En tant que fournisseur de services de cybersécurité, elle est appelée pour gérer les conséquences d'attaques informatiques. Elle fournit également une protection contre les virus et les cyberattaques, mais apparemment pas contre ses propres programmes.

La panne a affecté plus de 8,5 millions de machines utilisant Microsoft dans des services bancaires et de santé. Les systèmes des compagnies aériennes et des aéroports sont tombés en panne, entraînant l'annulation de 3 300 vols. Les systèmes de paie de nombreuses entreprises ont été touchés, ce qui signifie que des milliers d'employés ne recevront pas leur salaire mensuel à temps. La panne pourrait coûter des milliards de dollars dans le monde entier et prendre des semaines avant d'être résorbée, car les ordinateurs devront être redémarrés manuellement en « mode sans échec », ce qui constituera un véritable casse-tête pour les services informatiques.

La panne massive de Microsoft aujourd'hui est le résultat d'un monopole informatique

Cette panne révèle la domination massive de Microsoft et de CrowdStrike dans le domaine des logiciels informatiques et de la cybersécurité. Microsoft Windows détient environ 72 % du marché mondial des systèmes d'exploitation, tandis que la part de marché de CrowdStrike dans la sécurisation des terminaux est de 24 %. L'information, les paiements, les transports et les communications dans le monde dépendent donc des décisions de quelques entreprises privées « à but lucratif (massif) ».  Comme l'a dit un militant : « La panne massive de Microsoft aujourd'hui est le résultat d'un monopole informatique qui est devenu un point de rupture pour une trop grande partie de l'économie mondiale ».

L'un des problèmes qui en découlent est l'absence de diversification des systèmes d'exploitation. Là encore, mes amis techniciens estiment que Microsoft Windows est un système d'exploitation très médiocre, vulnérable aux bogues et autres erreurs de codage, contrairement à d'autres systèmes, y compris les systèmes gratuits « open source ». « Pendant des décennies, la poursuite par Microsoft d'une stratégie de verrouillage des fournisseurs a empêché les secteurs public et privé de diversifier leurs capacités informatiques. Des aéroports aux hôpitaux, en passant par les centres d'appel d'urgence et les systèmes financiers, des millions de personnes subissent aujourd'hui les conséquences de la cupidité et de l'égo de l'un des plus grands délinquants de la Big Tech. Lorsque trois entreprises seulement - Microsoft, Amazon et Google - dominent le marché du stockage informatique (cloud computing), un incident mineur peut avoir des ramifications mondiales ».

Quelle est la réponse ? Les techniciens disent que nous avons besoin de plus de systèmes de secours, d'au moins deux fournisseurs indépendants pour leurs opérations de base, ou au moins de s'assurer qu'aucun fournisseur ne représente plus des deux tiers de leur infrastructure informatique critique. Ainsi, en cas de défaillance catastrophique de l'un des fournisseurs, l'autre pourra continuer à fonctionner. Mais c'est une chose d'avoir des systèmes de secours, c'en est une autre de se diversifier dans différents systèmes d'exploitation qui risquent de ne pas être compatibles les uns avec les autres. Là encore, mes amis techniciens estiment que de nombreux bogues et pannes sont dus à l'existence de différents systèmes au sein d'une même entreprise. Cela signifie qu'il n'y a pas de vision unique du début à la fin. Par conséquent, si les choses tournent mal dans une partie de l'entreprise sur le plan technique, les équipes techniques ne peuvent pas voir pourquoi à l'autre bout du processus. Trop de marmitons ont gâché le plat.

Une réglementation accrue des grandes entreprises technologiques est-elle la solution ? Je ne crois pas.  La réglementation des entreprises capitalistes « à but lucratif » par les agences gouvernementales de régulation a été un échec avéré dans presque tous les secteurs : finance, services publics, transports, communications, etc. Les entreprises se contentent d'ignorer les réglementations, de payer leurs amendes en cas d'infraction, puis de poursuivre leurs activités comme si de rien n'était.

Et si l'on brisait les grands monopoles technologiques ?  C'est un cri communément lancé par certains : « Il est grand temps que Microsoft et les autres grands monopoles technologiques soient démantelés pour de bon. Non seulement ces monopoles sont trop grands pour s'en soucier, mais ils sont aussi trop grands pour être gérés. Et bien qu'ils soient trop grands pour échouer, c'est ce qui s'est passé. À maintes reprises. L'heure des comptes a sonné. Nous ne pouvons pas continuer à laisser les dirigeants de Microsoft minimiser leur rôle en nous rendant tous plus vulnérables.

Mais les mesures antitrust visant à démanteler les grandes entreprises n'ont guère eu d'effet par le passé. Les grandes économies sont encore plus dominées par ces entreprises qu'elles ne l'étaient il y a cent ans. Prenons l'exemple du démantèlement de la Standard Oil par le gouvernement états-unien en 1911, alors qu'elle contrôlait plus de 90 % du secteur pétrolier aux États-Unis. Ce démantèlement a-t-il conduit à la création d'un grand nombre de petites compagnies pétrolières « gérables » à l'échelle mondiale, qui travailleraient dans l'intérêt de la société ? Non, car dans de nombreux secteurs, des économies d'échelle doivent être réalisées pour accroître la productivité et permettre aux entreprises capitalistes de maximiser leur rentabilité. Aujourd'hui, cent ans après l'éclatement de la Standard Oil, ce sont des multinationales de l'énergie encore plus grandes qui contrôlent les investissements dans les combustibles fossiles et les prix de l'énergie.

Le débat est le même pour les services bancaires numériques. La veille de la panne mondiale de CrowdStrike, la Banque d'Angleterre a signalé que son service de transactions bancaires CHAPS était tombé en panne, ce qui a retardé de nombreux paiements urgents. Il semble que le système international de paiements transfrontaliers SWIFT ait connu une panne de plusieurs heures. En effet, au cours des 20 dernières années, les défaillances des systèmes bancaires aux guichets automatiques et dans les transactions numériques se sont succédé à un rythme effréné.

Les grandes banques du monde entier dépensent d'énormes sommes pour spéculer sur les marchés boursiers et obligataires, mais ne dépensent pas assez pour garantir le bon fonctionnement des services bancaires de base destinés au public (ménages et petites entreprises). C'est ce que l'on appelle parfois la «  dette technologique ». Elle a conduit certains à affirmer qu'il fallait arrêter la numérisation complète des transactions monétaires.

L'argent liquide reste une solution de repli sûre lorsque les paiements numériques tombent en panne.  Le syndicat britannique GMB a déclaré que « l'argent liquide est un élément vital du fonctionnement de nos communautés ». Lorsque l'argent liquide est retiré du système, les gens n'ont plus rien à quoi se raccrocher, ce qui a un impact sur la façon dont ils effectuent les tâches quotidiennes. L'argent liquide permet également de mieux contrôler l'argent des citoyens. Martin Quinn, directeur de campagne pour l'APC, souligne que l'utilisation de l'argent liquide permet l'anonymat. « Je ne veux pas que mes données soient vendues et je ne veux pas que les banques, les sociétés de cartes de crédit et même les détaillants en ligne connaissent toutes les facettes de ma vie. Pour certains, il est également plus facile d'établir un budget en utilisant de l'argent liquide ».

L'exemple de ce qu'a fait le gouvernement indien en 2016 est une leçon à cet égard. Le gouvernement indien a brusquement supprimé la majeure partie de la monnaie fiduciaire du pays dans l'espoir de mettre fin à l'« argent noir » et d'endiguer la corruption. Mais  une étude réalisée en novembre 2017 sur 3 000 marchés réglementés pour 35 produits agricoles au cours des trois mois suivant immédiatement la démonétisation, a conclu que l'élimination des billets à forte valeur monétaire avait réduit la valeur du commerce agricole national de plus de 15 % à court terme, pour s'établir à une réduction de 7 % trois mois plus tard. Dans une économie largement « informelle », où les personnes les plus vulnérables n'ont toujours pas accès aux paiements numériques, cette démonétisation a causé beaucoup de tort aux plus pauvres en Inde.

La forte concentration de ce pouvoir numérique est une raison de plus pour remplacer les sociétés capitalistes par des sociétés publiques contrôlées démocratiquement par les organes populaires

Mais encore une fois, il serait erroné de conclure que nous devons revenir à l'argent liquide. L'argent liquide sous le matelas peut nous mettre à l'abri des regards indiscrets des autorités, mais cela reste une méthode inefficace de transactions monétaires et, comme nous le savons, une invitation à la criminalité. Bien sûr, le vol violent d'argent personnel et d'argent d'entreprise (comme on le voit dans les films d' action) a été remplacé par l'extraction silencieuse de l'épargne des gens et des comptes d'entreprise par des cyber-escrocs. Mais cela ne signifie pas que la numérisation de l'argent doive être inversée.

La question est en fait de savoir qui possède et contrôle notre monde numérique. La forte concentration de ce pouvoir numérique est une raison de plus pour remplacer les sociétés capitalistes par des sociétés publiques contrôlées démocratiquement par les organes populaires et les travailleurs de la technologie qui les composent. Nous devons rendre publics  les Sept Grands des médias sociaux et des entreprises technologiques actuellement dirigés et contrôlés par des multimilliardaires qui décident de ce qu'il faut dépenser et à quoi. L'énorme gaspillage de ressources dans des projets technologiques conçus uniquement pour faire de l'argent et non pour fournir des systèmes utiles et sûrs, bénéfiques pour la vie des gens, pourrait alors être réduit de façon spectaculaire. L'erreur humaine ne disparaîtrait pas, mais l'organisation et le contrôle de notre monde de plus en plus numérique pourraient être orientés vers les besoins sociaux et non vers le profit privé.

Source :  CADTM

 investigaction.net

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